il y a quelques millions d'années, une paire de pompes à prix imbattable revenait à vivre une aventure colorée façon femme roumaine de borat errant dans les allées recouvertes de lino d'un chaussland de province avec madame ma mère. la tatane retenue était donc généralement immonde, pour ne pas dire pire (but à 29 FRANCS, qu'espérer, aussi?) et la shoppeuse débutante que j'étais bien frustrée. mais cette époque est heureusement désormais révolue. depuis, le communisme triomphant (= fabricants de galoches spéciales "ma soirée au goulag") triomphe assez moins et le capitalisme à épaulettes-goldenboy sourire se la raconte, merci pour lui. c'était donc avant que la chine ne fabrique à peu près tout ce qui nous tombe sous la main, de la poupée barbie au mercure en passant par le sac vuitttton luitton en carton qui prend l'eau... du cheap, les enfants, c'est entendu, mais je suis assez cliente parfois. ainsi, dans ma ville, cette "porte du sud" (merci albert L.), jusqu'ici, le commerce de la fringue pas-chère-touche-la-qualité (où ça d'la qualité momo?) c'était le maghreb, tunisie en tête, qui s'en chargeait. et pis les chinois sont arrivés à belsunce et petit à petit, ils ont racheté tous les commerces (ils ont quand même gardé des gentils vendeurs comme selim, parce que causer mandarin, à belsunce, ça sert à peu près autant que vendre du madrange à la porte d'aix, ça c'est le melting-pot foufou de ma ville). et ces chinois sont incredibeules, cindy, je te le dis: TOUTES les chaussures que je veux sont sur leurs étagères, à des prix dingo du type : 5 euros la paire de spartiates (cet été), 10 euros les escarpins vernis noirs, 20 euros ma nouvelle paire de boots terrible qu'il suffit que je les regarde pour avoir envie de les toucher, mhh, comme des talismans. bien sûr, ce bonheur a sans doute une sordide contrepartie du type: travail des enfants de six ans 12h par jour dans des caves pleines de plomb et de ragondins. d'ailleurs, en revenant de "visa pour l'image", le mois dernier, il m'avait semblé évident que je ne pourrais plus jamais, ô, grand jamais, que carolyn cole ait mon âme, acheter quoi que ce soit en provenance de pékin. responsabilisation, bordel! c'était compter sans la dinde folle de mode (héritière d'une longue lignée de femmes accros à l'axiome "je l'ai eu pour rien") qui habite dans ma tête. bref, hier, j'ai recraqué et la seule chose qui m'ait sauvée, c'est le fait que les chinois aient une conception parfois étonnante des pointures (parfois, un 38, c'est comme un 21, ou alors un 41, c'est un 54, genre). parce qu'en fait, je suis incapable de sortir d'un paris-mode les mains vides. oui, comme chez H&M, mais en pire. pourtant, ici, tout va à l'encontre de mon goût naturel pour l'ordre, le clean, la discipline: dans mon temple de la pompe à dix balles, le carrelage est crassou, il y a 25 personnes + poussettes + sacs de courses devant chaque miroir de 10 cm de large, les vendeurs sont débordés, il faut essayer les chaussures en se contorsionnant sur un pied, parfois ils ne prennent ni les chèques, ni la CB. mais fuck, le luxe, basta, le glamchic: ici, tout est toc, il faut remplacer les talons au bout d'une semaine, aucun animal n'est mort pour fabriquer ces chaussures-là (ou alors pour faire de la colle?), les finitions sont faites à la truelle ... mais le reste, la ligne, le style, l'essentiel, en fait, TOUT est là, toujours, possible et disponible. pas du rêve qui fait mal derrière des vitrines tellement blindées qu'on se croirait à la banque de france. pas des boutiques où quand je réfléchis, je me rends compte que je suis sur le point de verser mon salaire directement dans la main d'une vendeuse que je ne connais même pas et qui ne me sourira de toute façon pas. à paris-mode, à paris-prix, à mode d'enfer et leurs petits amis, c'est tous les jours noël. on peut craquer pour les low boots ET les richelieus. les babies à triple bride ET les derbies. à la fin, à la caisse, ça ne fera jamais un truc à trois chiffres. pourtant, le plus drôle, c'est que mes pompes chinoises-du-quartier-arabe bluffent tout le monde, jusqu'aux plus snobs de mes potes fashionnistas. et il n'y a rien que j'aime tant que d'entendre des "AAAAAAAHHHH !!!! elles sont subliiiiimes !!! c'est des quoi tes chaussures ???" je sais, la vanité est mère de tous les vices et le travail des nourrissons c'est moche, méchant, bah, bouh, pas bien, vil. je sais, même que j'ai honte pour de vrai quand j'y pense. le problème est que je ne pense plus vraiment quand je suis en face de mes tueries de boots, dans leur matière toute molle, dans ce faux cuir tout vintage, grrrr, a y est, je vais encore aller les toucher.
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